Les applications deviennent de plus en plus lourdes et gourmandes en énergie, prévient Valérie Gombart. Cette spirale du toujours plus nous amène droit dans le mur, à l’heure d’une nécessaire réduction de nos dépenses d’énergie imposée par le réchauffement climatique et le contexte international.
Par Valérie Gombart (Fondatrice et PDG d’Hi Inov – Dentressangle)
Cet été, Ethereum, le protocole d’échange sur lequel est basée la seconde cryptomonnaie la plus utilisée au monde, a annoncé un changement majeur d’architecture de sa technologie de blockchain : l’abandon de la preuve par le travail pour la preuve par l’enjeu. Derrière ce jargon technique compréhensible uniquement des initiés se cache pourtant une petite révolution.
En modifiant son architecture technique de validation des transactions, Ethereum espère réduire de plus 99 % la consommation d’énergie de son réseau, estimée aujourd’hui à 100 Twh par an, l’équivalent annuel de la consommation énergétique des Pays-Bas.
Une empreinte carbone en hausse de 60 % en 2040 ?
C’est une bonne nouvelle, car les cryptoactifs sont effectivement montrés du doigt depuis plusieurs années pour leur consommation extravagante d’énergie. Or, la consommation d’énergie excessive de la blockchain n’est que la partie émergée de l’iceberg, et c’est bien toute l’industrie du numérique qui doit revoir son modèle.
Selon l’Arcep, le numérique représente en 2022, 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre et 2,5 % de l’empreinte carbone en France, soit l’équivalent du transport aérien. Compte tenu de son usage exponentiel, les experts estiment que si rien n’est fait, l’empreinte carbone du numérique aura augmenté de 60 % à l’horizon 2040.
Depuis la sortie du premier processeur Intel en 1971, la loi de Moore permet en effet de doubler la puissance des micro-processeurs tous les deux ans, à coût constant, voire décroissant. C’est cette maîtrise des technologies de gravure de semi-conducteur qui a été le moteur de l’explosion des usages du numérique : la puissance de calcul, à l’entrée de la décennie 2010, devient toujours plus grande et toujours moins chère : à la fin de la décennie, elle devient presque infinie et les usages de l’intelligence artificielle, du machine learning et de la blockchain explosent.
La règle du « toujours plus »
Pourtant, quel entrepreneur du numérique se préoccupe aujourd’hui de la puissance serveur et donc, de la consommation d’énergie nécessaire à son application ? Pour une start-up, le coût de l’infrastructure ne représente finalement que quelques milliers d’euros dans son compte de résultat, à peine 10 % de son chiffre d’affaires.
De fait, de très mauvaises habitudes sont prises dès le départ dans les choix mêmes des architectures techniques des solutions numériques, entraînant une dépense en énergie loin d’être nécessaire.
La règle qui prévaut est le toujours plus : toujours plus de puissance pour les serveurs, toujours plus de capacité de stockage pour les bases de données, toujours plus de couches de réseaux de neurones profonds pour les Intelligences Artificielles, toujours plus d’instantanéité dans la synchronisation de données, quand bien même toute cette débauche de moyens énergivores serait parfaitement inutile eu égard à l’usage des applications.
Droit dans le mur
La sophistication même de l’industrie du numérique a entraîné une spécialisation des acteurs à un tel point, que les développeurs d’applications sont devenus des assembleurs de legos. Les « stacks », ces briques fonctionnelles développées par d’autres éditeurs, sont agrégées autour du coeur de leur logiciel.
En conséquence, les applications deviennent de plus en plus lourdes, difficiles à maintenir et gourmandes en énergie. La solution la plus simple pour résoudre cette équation est alors de rajouter des serveurs et de la puissance de calcul ! Mais cette spirale du toujours plus nous amène droit dans le mur, à l’heure d’une nécessaire réduction de nos dépenses d’énergie imposée par le réchauffement climatique et le contexte international.
Gage d’efficience
Pourtant les solutions existent : privilégier une architecture technique dont les modules sont optimisés pour l’application développée ; avoir un haut niveau d’exigence sur la qualité du code, qui doit être le plus synthétique possible ; réfléchir à décentraliser certaines fonctionnalités à exécuter localement, au plus proche de l’utilisateur, plutôt que dans un cloud distant parfois de plusieurs milliers de kms.
C’est autant un gage d’efficience, pas seulement énergétique mais aussi financière, ainsi que de robustesse du produit. Il est aussi possible de réduire très rapidement ses dépenses énergétiques en interrogeant systématiquement son fournisseur d’infrastructure cloud sur la consommation énergétique de son data center. Les différences entre fournisseurs peuvent aller d’un rapport de 1 à 10.
Les débats sur la sobriété énergétique ne doivent pas concerner seulement les grands groupes et les industriels. Les start-up, les entrepreneurs, les directeurs techniques, les investisseurs du numérique ont une responsabilité et les moyens de poser les bases du développement technique sobre en énergie « by design ».